Ce n’est pas « juste une blague »

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Ce texte est une traduction collaborative d’un fil twitter de Jason P. Steed (@5thCircAppeals) écrit le 9 août 2016, fait en réaction à un tweet de Donald Trump qui se protégeait avec un « je plaisantais » suite à des propos tenus envers Hillary Clinton ([1] [2] [3]).

J’ai écrit ma thèse sur la fonction sociale de l’humour (dans la littérature et le cinéma) et voila ce qu’il y a à dire sur « je plaisante » :

Vous ne « plaisantez » jamais. Personne ne « plaisante » jamais. L’humour est un acte social qui joue une fonction sociale (toujours).

Dire que l’humour est un acte social, c’est dire qu’il l’est toujours dans un contexte social : on ne plaisante pas seul. L’humour est une façon de communiquer, d’interagir avec les autres.

Ce qui veut dire que l’humour est la façon dont nous construisons notre identité – qui nous sommes par rapport aux autres. Nous utilisons l’humour pour former des groupes et pour trouver notre propre place à l’intérieur ou à l’extérieur de ces groupes. En bref, l’humour est un outil par lequel nous intégrons ou excluons.

En un mot, nous utilisons l’humour pour amener des gens à l’intérieur – ou les garder à l’extérieur – de nos groupes sociaux. C’est ce que l’humour fait. C’est ce à quoi il sert.

Par conséquent, la façon dont nous utilisons l’humour est liée à l’éthique – qui nous accueillons, qui nous évitons, et comment/pourquoi ?

Et la fonction assimilatrice/excluante de l’humour marche non seulement avec les gens, mais aussi avec les idées. Ceci est important.

C’est pourquoi, par exemple, les « blagues » racistes sont mauvaises. Non seulement parce qu’elles servent à exclure certaines personnes, mais aussi parce qu’elles font assimiler l’idée du racisme (l’idée d’exclure les gens selon leur race). Venons-en donc à Trump.

Une blague raciste envoie à l’endogroupe¹ un message comme quoi le racisme est acceptable. (Si vous ne le trouvez pas acceptable, vous êtes dans l’exogroupe²)

La personne racontant la blague raciste peut dire « je plaisante » – mais en le disant, elle se défend vis-à-vis de l’exogroupe. Elle n’a pas besoin de dire ça à l’endogroupe.

C’est pourquoi ce n’est jamais « une plaisanterie ». Pour l’endogroupe, défendre la blague n’est pas nécessaire. L’idée transmise est acceptée/acceptable.

Ainsi, quand Trump plaisante à propos d’assassinat ou de révolte armée, il demande à l’endogroupe d’assimiler/d’accepter cette idée. C’est ce que font les blagues.

Et quand il dit « je plaisante », c’est une défense face à l’exogroupe dont on n’attend jamais qu’il accepte/admette l’idée.

Donc pour revenir au début, la blague elle-même est une façon de définir l’endogroupe et l’exogroupe, via l’intégration et l’exclusion.

Si vous êtes prêt·es à accepter « je plaisante » en tant que défense, vous êtes prêt·es à rejoindre l’endogroupe où l’idée transmise par la blague est acceptable.

En un mot, si « je plaisante » excuse les blagues racistes, alors l’endogroupe a accepté l’idée du racisme comme faisant partie de ce groupe.

Il en va de même pour les « blagues » sur la révolte armée ou l’assassinat d’Hillary Clinton. Elles ne peuvent pas être acceptées comme « de la plaisanterie ».

Maintenant, un avertissement important : l’humour (comme l’ensemble du langage) est complexe et toujours sujet à interprétation. Par exemple, on peut avoir un humour raciste qui est, en fait, conçu pour exclure (plutôt qu’intégrer) l’idée du racisme (en tant que satire ou parodie).

Mais je pense qu’il est clair que Trump n’était pas en train de pratiquer quelque forme complexe d’humour satirique. Il ne faisait « que plaisanter ». Dans le pire des sens du terme.

Pour finir : n’acceptons pas « la plaisanterie » comme une excuse de ce que Trump a dit aujourd’hui. L’endogroupe de cette blague devrait être minuscule. Comme ses mains.

¹ En sociologie, un endogroupe est un groupe social auquel une personne s’identifie comme étant membre.
² À l’inverse, un exogroupe est un groupe social auquel un individu ne s’identifie pas.