En finir avec les rock stars : comment faire cesser les agressions dans nos communautés

29 min

NdT : Cet article a été écrit collectivement et publié le 21 juin 2016 par Leigh Honeywell, Mary Gardiner et Valerie Aurora. Elles nous ont aimablement donné l’autorisation de publier cette traduction. Ce texte n’est pas sous licence libre.

[Avertissement sur le contenu : Abus et violence sexuelle]

Ces deux dernières semaines [ndt : été 2016], trois membres respecté·e·s des communautés de la sécurité informatique et de la défense de la vie privée sont sorti·e·s de l’anonymat pour témoigner des comportements sexuels inappropriés, du harcèlement et des abus commis par Jacob Appelbaum. Elles ont agi en solidarité avec les premiers témoignages anonymes dénonçant les abus de celui-ci. Plusieurs organisations ont pris le parti de protéger leurs membres d’Appelbaum, dont le projet Tor, Debian, le hackerspace Noisebridge, entre autres.

Appelbaum n’est pas le dernier — ou le seul — agresseur dans ces milieux. De nombreuses personnes appellent à trouver des solutions à long terme pour arrêter et empêcher des abus similaires. Les autrices de cet article ont des recommandations, basées sur plus de 40 ans d’expérience cumulée dans la gestion de communautés de la sécurité informatique, des hackerspaces, du logiciel libre ou open source et des associations à but non-lucratif. En six mots, notre recommandation est : 

En finir avec les rock stars.

Que voulons-nous dire par « rock stars » ? Nous aimons ce tweet de Molly Sauter :

    Sérieusement, les « rock stars » sont arrogant·e·s et narcissiques. Les plombier·e·s nous protègent tou·te·s du choléra. Construisez des infrastructures fonctionnelles. Soyez un·e plombier·e.
— Molly Sauter (@OddLetters)
17 juin 2016

Vous pouvez agir concrètement pour empêcher les rock stars d’abuser et de détruire votre communauté. Tout d’abord, voici quelques signes qui permettent de différencier une rock star d’un·e plombier·e :
Une rock star aime être le centre de l’attention. Une rock star passe plus de temps à parler à des conférences que sur son travail attitré. Une rock star apparaît dans des douzaines de magazines — et ne dit jamais aux journalistes de s’adresser aux personnes qui font concrètement le travail au quotidien. Une rock star irrite des organisations puissantes sur des détails jusqu’à ce qu’elles se retournent contre elle, la faisant passer pour une victime. Une rock star ne dit jamais « Je n’ai aucun mérite, tout le travail a été fait par… ». Une rock star se vante d’avoir des groupies avec des étoiles dans les yeux qui veulent baiser avec elle. Une rock star baise vraiment ses groupies et s’en vante aussi. Une rock star pique des crises de colère jusqu’à obtenir ce qu’elle veut. Une rock star exige la loyauté exemplaire des gens qui l’entourent, mais poussera læ moindre « ami·e » sous un bus pour son propre intérêt. Une rock star sait quand user de son charme, de sa vulnérabilité, partager ses expériences personnelles profondément traumatisantes… et sait quand elle peut sans risque menacer et intimider. Une rock star détruit des chambres d’hôtel, des mouvements sociaux et des vies.

Pourquoi les rock stars sont si ordinaires et ont tant de succès ? Il y a quelque chose de profondément ancré dans la psyché humaine qui nous séduit chez les rock stars et les narcissiques. Nous tombons facilement sous leur charme à moins d’être soigneusement entraîné·e·s pour les détecter. Les narcissiques sont doué·e·s pour faire une bonne première impression, pour déguiser un comportement abusif comme étant simplement excentrique ou divertissant, pour s’attribuer le mérite du travail d’autrui. Iels collent à nos stéréotypes (souvent inadéquats) du leader égocentrique, prétentieux·se et trop confiant·e. Nous avons tendance à confondre confiance en soi et compétences, et les narcissiques sont doué·e·s pour jouer avec la confiance.

Parfois, les rock stars sont confondues avec les leaders, qui sont compétent·e·s et nécessaires. Quelle est la différence entre une rock star et un·e leader ? Nous aimons le terme « serviteur-leader » comme rappel que le but ultime d’un·e bon·ne leader est de servir la mission de son organisation (cependant, une critique féministe concernant le langage autour du terme « serviteur-leader » vaut le coup d’être lue). Être reconnu·e, avoir la confiance et le soutien de beaucoup de personnes est l’une des composantes d’un·e leader efficace. Ce qui est très différent de cette sorte de vénération inattaquable que la rock star recherche et encourage. Lorsque la vénération devient disproportionnée et déconnectée des objectifs, les leaders savent reculer (nous en avons un bel exemple avec Anil Dash, réagissant après avoir été présenté comme un exemple d’allié positif des femmes dans la tech). Les rock stars ne sont heureuses que si elles sont entourées d’une adoration irréfléchie.

Comment, en tant que communauté, pouvons-nous éviter les rock stars ? 
Si les rock stars sont un problème et que nous sommes vulnérables aux rock stars, comment pouvons-nous les empêcher de prendre le pouvoir et de détourner nos organisations et nos mouvements ? Il s’avère qu’une hygiène communautaire assez simple et élémentaire est toxique pour les rock stars. Elle rend aussi l’environnement plus agréable, inclusif et accueillant pour les plombier·e·s.
Nos recommandations peuvent être résumées par : décentraliser les points de défaillance [ndt : source Wikipédia], augmenter la transparence, améliorer la responsabilisation, permettre les communications privées et anonymes, réduire les inégalités de pouvoir et éviter les situations propices aux dépassements de limites. Ceci est un long billet de blog, alors voici une table des matières :

Ayez des règles de conduite explicites et appliquez-les à tout le monde
Créez un code de conduite robuste, spécifique et applicable à votre organisation — et appliquez-le, rapidement et sans égard au statut de l’auteur·trice présumé·e de l’infraction. Les rock stars s’amusent à enfreindre les règles, alors que les leaders sachant qu’iels sont des modèles, y adhèrent scrupuleusement, sauf lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de faire ce qui est juste. Les rock stars savent aussi qu’en enfreignant publiquement de petites règles sans que personne ne les dénonce, elles envoient le message qu’elles peuvent aussi enfreindre les grandes et s’en tirer à bon compte.
L’une des autrices de ce post a immédiatement cru toutes les accusations publiques d’abus et d’agressions commises par Jacob Appelbaum — y compris les anonymes. Pourquoi ? Entre autres signes, elle l’a vu enfreindre des règles différentes, plus petites, d’une manière qui montrait son mépris total pour le temps, le travail et les sentiments des autres — et tout le monde l’a soutenu dans cette voie. Par exemple, elle a une fois assisté à une série de conférences-éclairs de cinq minutes au hackerspace Noisebridge, où les conférencier·e·s s’inscrivaient à l’avance. Jacob est arrivé à l’improviste et s’est précipité après les deux premières discussions avec un diaporama ennuyeux de quarante-cinq minutes sur un récent voyage qu’il avait fait. La personne qui dirigeait les conférences — quelqu’un qui avait beaucoup de pouvoir et d’influence dans la communauté — a levé les yeux au ciel mais l’a laissé parler neuf fois plus longtemps que les autres intervenant·e·s. Le message était clair : les règles ne s’appliquaient pas à Jacob, et même les personnes avec de l’autorité avaient peur de le contrarier.
Ce genre de mépris flagrant des règles et de la valeur du temps des autres était si courant qu’on lui donnait un nom : « la petite histoire de Jake », comme le décrit Phoenix (pseudonyme) dans son témoignage de harcèlement sexuel. Ce genre d’impolitesse et d’infraction aux règles causent des préjudices directs, des dysfonctionnements et un manque de respect. De plus, lorsque vous laissez passer ces comportements, vous faites comprendre que leurs auteur·ice·s peuvent aussi s’en tirer en commettant du harcèlement et des agressions purs et simples.
Pour résoudre ce problème, créez et adoptez un code de conduite spécifique et applicable pour votre communauté. Choisissez un petit groupe d’expert·e·s pour l’appliquer, avec des dispositions sur ce qu’il faut faire si l’un·e des membres de ce groupe est accusé·e de harcèlement. Fixez des délais pour répondre aux plaintes. Menez la majorité des discussions concernant le signalement en privé pour éviter de traumatiser à nouveau les victimes. Ne faites pas d’exceptions pour les personnes qui sont « trop précieuses ». Si les gens font valoir que certaines personnes sont trop précieuses pour faire l’objet d’un blâme après avoir enfreint le code de conduite, retirez-les des postes décisionnels. Si jamais vous vous trouvez dans une situation où vous vous demandez si les avantages d’une personne l’emportent sur son passif, reconnaissez qu’elle a déjà coûté plus à la communauté qu’elle ne pourra jamais lui redonner et mettez-vous au travail pour l’éjecter rapidement.

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Partez du principe que les signalements de harcèlement sont véridiques et examinez-les minutieusement
Depuis plus d’une décennie que nous étudions les signalements de harcèlement et d’agression dans les communautés techniques, nous avons remarqué une tendance : si les choses en sont arrivées au point où vous avez entendu parler d’un incident, ce n’est sûrement que le sommet de l’iceberg. Les gens se disputent beaucoup pour savoir s’il faut croire la parole d’une personne (la victime présumée) plutôt que celle d’une autre (læ harceleur·se présumé·e). Pourtant, étonnamment souvent, ce n’est pas la première fois que læ harceleur·se a fait quelque chose de nuisible. C’est plutôt sa parole contre celles d’une douzaine d’autres. Pensez-y : quelles sont les chances que cette personne ait eu un comportement totalement irréprochable avant de mettre sa main dans les sous-vêtements d’une autre sans son consentement — et que cette dernière s’en soit plainte — ET que vous en ayez entendu parler ? Il est beaucoup plus probable qu’elle ait graduellement intensifié ses mauvais comportements pendant des années et que vous n’en n’ayez tout simplement jamais entendu parler avant.

La grande majorité des cas que nous connaissons correspond à l’un de ces deux modèles :

    • Une personne ignorante commet quelques petites erreurs innocentes et est dénoncée pour l’une d’entre elles assez rapidement. Signes que c’est probablement le cas : l’incident lui-même s’explique facilement comme étant une erreur ; l’accusé·e comprend rapidement ce qu’iel a fait de mal ; semble sincèrement, fortement embarrassé·e ; iel s’excuse abondamment et offre plusieurs façons de réparer son erreur : demander que la vidéo de sa conférence soit supprimée, rédiger des excuses publiques pour expliquer pourquoi ce qu’iel a fait était nuisible ou proposer de cesser de participer à l’événement pendant un certain temps.

    • Une personne qui aime piétiner les limites des autres se comporte mal depuis longtemps de diverses façons, mais tout le monde a eu trop peur d’en parler ou de faire quoi que ce soit au sujet d’autres signalements. Signes que c’est probablement le cas : la personne rapportant les faits a peur des représailles et voudra essayer de rester anonyme ; d’autres personnes ont peur de parler de l’incident pour la même raison ; l’incident rapporté peut être assez extrême (par ex. : une agression physique avec une violation indéniable du consentement) ; de nombreuses personnes ne sont pas surprises lorsqu’elles en entendent parler ; vous recueillez rapidement d’autres témoignages de harcèlement ou d’agression de divers niveaux ; l’accusé·e a plagié ou s’est attribué·e le travail d’un·e autre, falsifié des rapports de dépenses ou fait d’autres choses éthiquement douteuses ; l’accusé·e a amassé beaucoup de pouvoir et attaque toute personne qui semble le remettre en question ; l’accusé·e tente de changer de sujet en parlant de ses propres griefs ou souffrances ; l’accusé·e admet mais minimise l’incident ; ou l’accusé·e attaque personnellement la personne rapportant les faits sur sa « respectabilité » ou en utilisant le tone-policing [ndt : source Wiktionnary].

Dans les deux cas, votre travail consiste à enquêter sur le comportement de l’accusé·e dans le temps, à la recherche du moindre signe de narcissisme et de cruauté. Les rock stars laissent derrière elles une longue traînée d’e-mails désagréables, du mérite illégitime, de comportements grossiers et d’actes contraires à l’éthique, petits et grands. Allez les chercher.

Facilitez la recherche et la coordination entre les victimes
Les rock stars rendront souvent difficile toute communication qui ne passe par elles ou leurs assitant·e·s. La communication privée ou anonyme permet de comparer des expériences et de construire des mouvements de résistance efficaces. Afin de lutter contre leur surveillance, encouragez et soutenez les groupes d’affinités pour les minorités (en particulier les personnes qui s’identifient comme femmes), créez des procédés formels qui permettent le signalement anonyme ou sous pseudonyme, comme un·e médiateur·rice ou une ligne d’assistance téléphonique, soutenez et valorisez les personnes qui sont des contacts de confiance et/ou défendent des minorités, et récompensez les personnes qui font le travail difficile mais nécéssaire de soulever les problèmes.

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Soyez à l’affût du moindre signe de dépassement de limites et réagissez vigoureusement
Parfois, les rock stars n’enfreignent pas tout à fait les règles, elles repoussent aussi fréquemment les limites. Elles essaient de déterminer exactement jusqu’où elles peuvent aller sans se faire prendre. Ou encore, elles rendent le fait d’avoir des limites si épuisant que l’on cesse de les défendre. Par exemple, elles peuvent s’attribuer un peu trop de mérite pour un travail partagé ou le travail d’autres personnes ; aborder constamment le sujet de conversation le plus dérangeant mais socialement acceptable ; résister à la désescalade d’un conflit verbal ; critiquer subtilement les gens ; faire des commentaires passifs-agressifs sur la liste mail ; laisser des commentaires qui sont presque mais pas complètement contre les règles ; se tenir volontairement un peu trop près des gens ; toucher légèrement des personnes et ignorer leurs signaux non verbaux de refus (mais obéir à une demande verbale explicite… normalement) ; faire des commentaires qui les placent subtilement au-dessus ou en tant que juges des autres ; interrompre les réunions ; faire de petits dénigrements verbaux ; ou se détourner physiquement des gens pendant qu’iels parlent. Les rock stars se sentent en droit d’avoir le temps, le travail et le corps d’autrui. Les signes qui montrent qu’elles se sentent en droit d’avoir l’un sont souvent des signes qu’elles se sentent en droit d’avoir les autres.

Dénoncez les gens qui monopolisent l’attention et la reconnaissance
Y a-t-il quelqu’un·e dans votre organisation qui saute sur chaque occasion de parler à un·e journaliste ? Qui assiste à toutes les conférences possibles et qui donne des présentations à plusieurs d’entre elles ? Qui se vante de ses Miles de grand voyageur ou d’autres formes de statut ? Qui saute sur tous les projets qui semblent susceptibles d’avoir une grande visibilité ? Est-ce qu’iel fait du « cookie-lick » — revendique la propriété des projets, mais ne les réalise pas et empêche également d’autres personnes de les réaliser ? Si vous voyez cela se produire, dites : « Hé, nous devons mieux répartir la reconnaissance publique de ce travail. Envoyons plutôt Leslie à cette conférence. » Insistez pour que cette personne en mentionne d’autres (de façon nominative ou anonyme, dans la mesure du possible) bien en évidence et en première page de chaque article de blog, de magazine ou à chaque conférence. Établissez une rotation pour parler aux journalistes en tant que source nommée. Retirez des projets aux gens s’ils ne les réalisent pas, peu importe à quel point cela les rend tristes ou les contrarie. Insistez pour que les projets très reconnus soient répartis plus équitablement.
Un schéma négatif ressemblant à première vue à ce genre de dénonciation peut parfois se produire, où des gens jaloux des réalisations et des réussites des autres peuvent s’attaquer à des leaders efficaces n’étant pas des rock stars. Signes de cette situation : des gens qui font du bon travail, concret et spécifique, sont dénoncés pour avoir accepté une juste reconnaissance publique par des gens qui eux-mêmes ne tiennent pas leurs promesses, échouent par manque d’enthousiasme ou d’attention, ou communiquent mal. Les plaintes au sujet des leaders efficaces peuvent prendre la forme de « J’aurais dû avoir ce prix même si j’ai fait relativement peu de travail » au lieu de « Pour le bien de l’organisation, nous devrions répartir la reconnaissance parmi les personnes qui font le travail — parlons de qui elles sont ». Les personnes qui se plaignent peuvent déraper verbalement et révéler leur propre sentiment d’avoir droit à des récompenses et des éloges basées sur leur potentiel plutôt que leurs réalisations — par exemple, en disant « mon projet » au lieu de « notre projet ».

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Insistez sur la construction d’une réserve de talents à tous les niveaux de votre organisation
Personne ne devrait être irremplaçable dans votre organisation — elle devrait toujours avoir une réserve de talents. Néanmoins, cela arrive parfois à cause d’un excès de zèle d’un leader légitime, mais le plus souvent, c’est à cause de la volonté délibérée d’une rock star. Pour éviter cela, formez constamment plusieurs leaders à tous les niveaux de votre organisation, en particulier au sommet de la hiérarchie. Vous pouvez le faire en recherchant des conférencièr·e·s moins connu·e·s (pour les Keynotes en particulier) ; en payant pour une formation en leadership ; en créant des adjoint·e·s officiel·le·s pour les postes clés ; en encourageant les dirigeant·e·s à prendre des vacances et à ne pas consulter leurs e-mails (ou le chat) pendant leur absence ; en faisant parler au moins deux personnes avec chaque journaliste ; en tenant des réunions annuelles pour planifier les successions ; en choisissant des membres du conseil d’administration qui ont des opinions fermes sur le sujet et qui ont l’habitude d’agir en conséquence ; en ayant un roulement à quelques années d’intervalle sur les postes de direction ; en documentant et en automatisant autant que possible les tâches clés ; en partageant autant que possible les connaissances ; en créant des structures de soutien permettant aux minorités de jouer des rôles publics tout en sachant que leur soutien sera assuré en cas de harcèlement. Et si vous aviez besoin d’une raison de plus pour encourager les vacances : elles sont souvent un moyen efficace de découvrir une fraude financière (une des raisons pour lesquelles les leaders abusifs hésitent souvent à prendre des vacances — ils ne peuvent pas gérer la découverte potentielle de leurs méfaits).

Aplatissez la hiérarchie organisationnelle autant que possible 
L’absence totale de hiérarchie n’est ni possible ni souhaitable, car « abolir » une hiérarchie la rend invisible et impossible à critiquer (voir aussi la critique anarchiste de ce concept). Il est à la fois faisable et souhaitable de garder la hiérarchie aussi explicite, horizontale et transparente que possible, tout en prenant en compte les relations de pouvoir (par exemple : les décisions concernant les vols en classe affaires/éco peuvent se baser sur le nombre de déplacements et les besoins des employé·e·s plutôt que sur leur statut). Donnez aux gens les moyens de dénoncer les personnes qui ont du pouvoir sur eux (y compris les moyens de le faire anonymement). Établissez des critères transparents sur les responsabilités et la rémunération (le cas échéant) qui vont avec certains postes.

Intégrez des contrôles contre les « seuils d’incompétence »
Parfois, quelqu’un·e se retrouve en position de pouvoir, non pas parce qu’iel est réellement bon·ne dans son travail, mais parce que celui-ci est médiocre précisément dans un secteur où sont choisies des personnes au travail visiblement médiocre plutôt que celles qui n’ont pas eu la chance de montrer leurs talents. C’est ce qu’on appelle un « seuil d’incompétence ». Lorsque des personnes par ailleurs raisonnables tentent désespérément de dissimuler leur manque d’expertise en attaquant toute concurrence et en monopolisant l’attention, elles peuvent se transformer en rock stars. Parfois, personne ne veut assumer de virer quelqu’un·e qui n’est pas capable de faire du bon travail, et iel finit par obtenir une promotion grâce à sa ténacité et sa persévérance. La solution est d’avoir des critères de rendement précis et un processus pour évaluer équitablement le travail d’une personne et l’amener à quitter son poste s’il n’est pas bon.

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Appliquez des politiques strictes concernant les relations sexuelles ou sentimentales au sein des structures de pouvoir
Les rock stars adorent sortir avec des personnes qu’elles dominent parce qu’il est plus facile d’abuser d’elles et de les agresser sans se faire prendre. Chaque fois que nous entendons parler d’une organisation où de nombreuses personnes fréquentent d’autres personnes de leur hiérarchie, cela déclenche un signal d’alarme : cela augmente la probabilité d’abus. En général, l’approche qui présente le moins d’inconvénients est d’établir comme politique que personne ne sorte avec quelqu’un·e de sa propre hiérarchie. Les relations amoureuses avec des différences de pouvoir importantes doivent être rendues publiques. Si des gens établissent une relation dans la même chaîne hiérarchique, iels doivent se déplacer au sein de l’organisation jusqu’à ne plus partager de subordination. Oui, cela signifie que si læ PDG ou læ directeur·rice général·e d’une organisation commence une relation avec une autre personne de l’organisation, au moins l’une d’elle doit démissionner ou obtenir un détachement pendant la durée du mandat de direction. En ce qui concerne les relations de pouvoir informelles, comme les étudiant·e·s qui fréquentent des professeur·e·s éminent·e·s dans leur domaine, elles doivent aussi être interdites ou fortement découragées. Ce genre de politique est extrêmement peu attrayante pour une rock star, parce qu’une partie de l’attrait du pouvoir pour elle est de l’exercer sur de potentiel·le·s partenaires romantiques ou sexuel·le·s

Évitez que les organisations ne deviennent trop centrales dans la vie des gens
Avoir un équilibre raisonnable entre le travail et la vie personnelle n’est pas seulement un impératif éthique pour toute organisation qui valorise la justice sociale, c’est aussi un mécanisme de sécurité. Ainsi, si quelqu’un·e est forcé·e de partir, a besoin de partir ou doit prendre du recul, iel peut le faire sans détruire son système de soutien. Les rock stars insisteront souvent pour que leurs subordonné·e·s donnent 100% de leur énergie et de leur temps disponibles à « la cause » car cela les isole de leurs autres réseaux de soutien et les rend plus dépendant·e·s d’elles.
Votre communauté ne devrait pas risquer de faire perdre son emploi, sa carrière, ses relations amoureuses, son entourage, ses ami·e·s ou ses allié·e·s politiques à une personne en rupture avec le groupe (par ex. si une situation de harcèlement les poussait à partir). Établissez votre communauté de façon à encourager et permettre aux gens d’avoir une interaction sociale et du soutien à l’extérieur de votre organisation ou de votre cause. Cela facilitera aussi, au besoin, l’exclusion de personnes qui se comportent de façon abusive ou qui ne contribuent pas. Ainsi, vous n’aurez pas à craindre de les couper de tout travail important ou de tout contact humain.
Vous devriez décourager des choses telles que : des relations sociales semi obligatoires entre collègues après les heures de travail ; de longues heures de travail ; beaucoup de déplacements ; des personnes qui dépensent presque tous leurs « points d’intimité » ou toute leur force de travail émotionnel auprès des autres membres de la communauté ; beaucoup de relations romantiques au sein du groupe ; que tout le monde s’emploie les un·e·s les autres ; que chacun·e fasse partie du conseil d’administration des autres. Multiplier les efforts (par ex. : avoir plusieurs organisations militantes dans la même région, plusieurs listes de diffusions, etc.) est souvent perçu comme un gaspillage, mais cela peut être une force pour laisser une possibilité, certes limitée, de choisir ses collègues.

Distribuez les « clés du royaume »
Insister pour être le seul point de défaillance peut être le signe révélateur d’une rock star (ou parfois d’un·e narcissique introverti·e). Par exemple être læ seul·e à gérer : votre infrastructure technique (l’enregistrement du nom de domaine ou le site web) ; vos canaux de communication ; votre relation avec l’hôte ou læ propriétaire du local ; votre principale source de financement ; votre relation avec les policier·e·s, etc. Cela augmente le pouvoir et le contrôle de la rock star sur l’organisation.
Pour éviter cela, identifiez les ressources principales, assurez-vous que deux personnes ou plus peuvent y avoir accès ou les administrer et assurez-vous d’avoir un plan pour les départs soudains ou inexpliqués qu’ils soient courtois ou non. Dans la mesure du possible, dépensez de l’argent (ou une autre ressource que votre groupe peut fournir collectivement) plutôt que de compter sur les largesses, les compétences ou le réseau d’une seule personne. Faites les choses légalement lorsque cela est raisonnable. Essayez de ne pas dépendre d’une seule source extérieure de financement ou d’approvisionnement. S’il existe une relation particulièrement forte entre un·e membre du groupe et un·e bailleur·se de fonds, un·e conseiller·e ou une organisation stratégique, institutionnalisez-la : documentez-la et élargissez cette relation à d’autres personnes.
Une exception courante est de filtrer ou approuver par un seul point de contact le lien avec la presse (et iel devrait avoir un·e adjoint·e). Cependant, il devrait être possible de parler à la presse en tant qu’individu·e (c-à-d., ne pas représenter votre organisation) et de façon anonyme en cas d’abus interne à l’organisation. Parallèlement, votre organisation devrait avoir une politique solide de protection des lanceur·euse·s d’alerte — et les membres du conseil d’administration devraient avoir un engagement public fort et/ou la réputation de soutenir les lanceur·euse·s d’alerte dans leurs propre structures.

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Ne créez pas d’environnements qui favorisent le dépassement des limites
Certaines situations sont attrayantes pour les rock stars qui cherchent à abuser des gens : les situations sexualisées ; la banalisation de la consommation d’alcool ou de drogues jusqu’à devenir incapable de donner son consentement ou d’imposer ses limites ; ou d’autres méthodes pour briser ou violer les limites physiques ou émotionnelles. Ces situations peuvent ressembler à : accepter les blagues sexuelles au travail ; des relations sexuelles fréquentes entre membres de l’organisation ; des moqueries à l’égard des personnes pas « cools » car opposées à l’idée de parler de sexe au travail ; dépeindre les objections aux situations sexualisées comme étant homophobes/anti-polyamour/anti-kink ; des open bars avec alcool fort ou sans limite de consommation ; rendre acceptable le fait de pousser les gens à boire plus qu’iels ne le veulent ou à enfreindre leurs autres limites (restriction alimentaires, etc.) ; en normalisant la consommation de drogues jusqu’à rendre difficile le fait de rester conscients ou de défendre ses limites ; en exigeant la participation à des événements géographiquement isolés ou éloignés ; en organisant des événements où il est difficile de communiquer avec le monde extérieur (aucun service téléphonique ou accès Internet) ; des événements où les gens portent peu ou pas de vêtements (par ex. : fêtes à la piscine, saunas, spas) ou des activités qui nécessitent des contacts physiques (massage, exercice de confiance, accrobranche). Si une personne qui s’oppose à ce genre d’activité est critiquée pour être trop coincée, puritaine, d’un milieu culturel particulier, etc., c’est mauvais signe.
Votre organisation devrait complètement s’éloigner des activités de groupe qui font pression, implicitement ou explicitement, pour faire boire de l’alcool, prendre des drogues, enlever plus de vêtements que pratiqué dans la profession, toucher ou être touchée par d’autres personnes. L’état d’ébriété au point d’entraîner une maladresse prononcée, des troubles d’élocution ou une perte de conscience/mémoire devrait être absolument inacceptable dans la culture de l’organisation. Toute personne qui semble incapable de prendre soin d’elle-même en raison de sa consommation d’alcool ou de drogues devrait être immédiatement prise en charge par des personnes présélectionnées ayant pour rôle d’empêcher une agression (d’autant plus qu’elle peut avoir été délibérément droguée par quelqu’un·e dans l’intention de l’attaquer). Pour des conseils sur la façon de servir de l’alcool d’une manière qui réduit grandement les risques d’agression ou d’abus, consultez l’excellent article de Kara Sowles sur les événements inclusifs. Vous pouvez également consulter l’article sur comment organiser de façon inclusive des événements à l’extérieur sur le wiki du féminisme geek.

Mettez cela en pratique dans votre communauté

En fait je me sens physiquement malade là en pensant à ce que Jake a fait aux gens. Nous avons attendu trop longtemps pour agir à ce sujet. — yan (@bcrypt) 15 juin 2016

Nous avons attendu trop longtemps pour agir à ce sujet.

Il y a fort à parier qu’il « manque une marche » dans votre communauté, voire trois — même si vous venez d’en mettre une à la porte. Ces personnes abîment votre communauté en ce moment même. Si vous avez du pouvoir, de l’influence ou des privilèges, il est de votre responsabilité d’agir en personne pour limiter le mal qu’elles font. Cela peut signifier les renvoyer ou les rétrograder ; cela peut signifier les sanctionner ou « s’occuper d’elles ». Mais si vous tenez à rendre le monde meilleur, vous devez agir.
Si vous n’avez pas de pouvoir, d’influence ou de privilège, réfléchissez bien avant de prendre toute mesure qui pourrait vous nuire davantage, et envisagez sérieusement de demander à d’autres personnes mieux protégées d’agir à votre place. Leur réponse sera un test décisif en ce qui concerne leurs valeurs. Si personne n’est prêt·e à s’en charger pour vous, votre seule option pourrait être de partir pour rejoindre une autre communauté ou organisation. Nous avons été dans cette position — impuissant·e·s face aux rock stars — et c’est déchirant et dévastateur d’abandonner une cause, une communauté ou une organisation qui vous tient à cœur. Nous avons toutes pleuré les espaces que nous avons quitté lorsqu’ils sont devenus invivables à cause des abus. Mais partir est souvent le bon choix quand celleux qui ont du pouvoir choisissent de ne pas l’utiliser pour protéger les autres.

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Réponses
Bien que nous ne demandions pas aux gens de « cosigner » ce texte, nous souhaitons que celui-ci contribue à un débat plus large sur la création d’organisations et de communautés résistantes aux abus. Nous invitons les autres à réfléchir sur ce que nous avons écrit ici, et à écrire leurs propres réflexions. Si vous souhaitez que nous fassions figurer votre réflexion dans cet article, veuillez nous laisser un commentaire ou nous envoyer par e-mail un lien, votre nom ou pseudonyme, et toute affiliation que vous souhaitez que nous incluions, et nous envisagerons de le faire. Nous invitons particulièrement les survivant·e·s de violences conjugales dans les communautés militantes, les survivant·e·s de harcèlement et de violence au travail, et les personnes confrontées à des oppressions intersectionnelles à prendre part à la conversation.
2016-06-21: The “new girl” effect by Lex Gill, technology law researcher & activist
2016-06-21: Patching exploitable communities by Tom Lowenthal, security technologist and privacy activist
2016-06-22: Tyranny of Structurelessness? by Gabriella Coleman, anthropologist who has studied hacker communities
Nous préférerions que les gens ne communiquent pas avec nous pour divulguer leurs propres expériences de mauvais traitements. Mais sachez ceci : nous vous croyons. Si vous avez besoin de soutien émotionnel, adressez-vous plutôt à vos proches, à un·e conseiller·e de votre région ou aux personnes formées à RAINN ou à la Crisis Text Line.

Crédits
Cet article a été écrit par Valerie Aurora (@vaurorapub et @vaurora), Mary Gardiner (@me_gardiner et @puzzlement ), et Leigh Honeywell (@hypatiadotca et @leigh), avec remerciements reconnaissants pour les commentaires et suggestions de nombreux⋅ses critiques anonymes.


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Ce texte est une traduction collaborative de lila, Leia, Mélanie Chauvel (ariasuni), Courgette, Grandasse, Claire, meli_melo, Lunar